Des sols gelés qui dégèlent à toute vitesse
Récemment deux articles publiés dans Science (sur les Océans) et Nature [1] ont porté sur le dégel des sols. Les scientifiques sont préoccupés par la fonte du pergélisol, vous savez cette partie du sol, gelée toute l’année pendant au moins deux ans. Vous avez peut-être entendu parler du terme « Permafrost » qui désigne la même chose ! (mais c’est le terme « anglais »).
Le pergélisol contient de la terre, des morceaux de roches, des sédiments, un peu de glace et de la matière organique (donc du carbone imbriqué dans des liaisons chimiques).
Cela concerne des zones des hautes latitudes (Groenland, Alaska, Canada, Sibérie) et de façon plus éparse la haute altitude (on parle par exemple du pergélisol Alpin dans les Andes ou les Alpes). Il peut s’agir de terre ou de socles rocheux. Bref, cela concerne environ 20 % de la surface mondiale et une vingtaine de millions de km2. Certaines parties du pergélisol sont gelées depuis des millions d’années.
Le pergélisol est très étudié car il s’agit d’un bon indicateur du changement climatique : de nombreux sondages, et de mesures de température y sont effectués ainsi qu’un suivi satellitaire.
Quel constat ? L’Arctique se réchauffe et ce, plutôt plus vite que partout ailleurs. Ainsi, par voie de conséquence, les sols gelés commencent à fondre et certains, pour la 1e fois depuis 1000 ans. Le phénomène est même en accélération car c’est ce qu’on appelle une boucle de rétroaction positive : le dégel libère des gaz à effet de serre (GES) ce qui alimente la cause du réchauffement, qui accélère le dégel etc.
D’où viennent ces GES ? Et quels sont-ils ? Il faut savoir que le pergélisol a « coincé » dans le sol des végétaux, des cadavres d’animaux souvent remplis de micro-organismes, bref de la matière organique, à la pelle ! Au moment du dégel, les micro-organismes – bon nombre d’entre eux ont résisté au temps et au froid- cherchent à se développer et consomment la matière organique à disposition. Et c’est parti pour les émissions de CO2, de méthane CH4* (dont le pouvoir de réchauffement est 25 fois supérieur à celui du CO2 sur 100 ans) et de protoxyde d’azote** (N2O – dont le PRG est 300 fois celui du CO2).
*Les émissions de méthane surgissent en cas de fermentation anaérobie (en absence d’oxygène).
** L’azote de la matière organique est également attaqué par les micro-organismes.
Où en est-on ? Que sait-on ? D’après les estimations qui sont faites, le sol gelé contiendrait une quantité impressionnante de carbone et la proportion de « deux fois plus » que la quantité présente dans l’atmosphère est avancée !
Il est essentiel de pouvoir anticiper et évaluer la part que pourraient dégrader les micro-organismes. Et pour cela, ce sont des modèles qui tournent.
Les autres conséquences de la fonte du pergélisol Elles concernent les sols eux mêmes, qui face au dégel se trouvent déstabilisés et s’effondrent ou se retrouvent inondés. On assiste même à des forêts entières qui sont recouvertes par les eaux.
Fonte du Pergélisol. NPS Photo (C.Ciancibelli)
Alors évidemment, les populations qui sont proches de ces zones, sont impactées directement : des maisons qui s’effondrent, un accès à la nourriture menacé, une modification de la biodiversité qui fait migrer les espèces.
La déstabilisation des sols par la fonte du pergélisol, les arbres perdent pied ! (Source : NPS – [2])
Les modèles et le futur Les modèles actuels reposent sur l’hypothèse que le pergélisol dégèle progressivement depuis la surface vers les zones plus profondes et qu’ainsi, des couches de plus en plus profondes de matière organique sont exposées. Ce dégel progressif, concernant la plupart des régions, conduit, d’après les estimations, à une libération de 200 Gt (200 Milliards de tonnes) d’ici 2300 (si le réchauffement poursuit le rythme actuel). C’est énorme ! Mais ce chiffre pourrait bien être sous évalué !
En effet, le dégel progressif ou abrupt ne donne pas les mêmes résultats sur le long terme. Un dégel brusque, qui est bien ce qui se passe pour certains régions, libère d’un coup des poches de glace ce qui relargue plus de méthane avec un impact beaucoup plus marqué. En cas de dégel brusque, des parties recouvertes de végétaux telles que les forêts pourraient bien se retrouver sous les eaux et des sols qui s’effondrent, relarguent beaucoup plus de carbone/m2 que dans le cas d’un dégel progressif. Les scientifiques estiment que même si « seulement 20 % » du permafrost dégèle brusquement, les estimations actuelles (déjà peu réjouissantes) sur la libération de carbone pourraient augmenter de 50%. Bref, la recherche sur la base d’un dégel rapide doit s’intensifier pour affiner les modèles.
Alors tout est dit ? Même si le tableau n’est pas très optimiste, il reste plusieurs zones d’incertitudes notamment sur le rôle joué par le couvert végétal : les plantes qui se développent sur des sols dégelés, pourraient contribuer à les stabiliser, canaliser leur humidité voire éventuellement à contrecarrer le CO2 relâché par le biais de la photosynthèse ; bref, des boucles de rétroaction sérieusement complexes à modéliser pour tenir compte de tous ces phénomènes. De nombreux travaux de recherche, d’observations, de mesures, de modélisations sur les conséquences d’un dégel rapide sont donc nécessaires.
Le dégel du permafrost révèle de curieux paysages (ici des cercles dans un archipel norvégien -Svalbard)
Enfin, un autre problème lié au dégel du permafrost concerne le mercure (Hg) qui est particulièrement concentré dans la zone arctique. Pourquoi ? Dans quelles mesures pourrait-il être libéré par le dégel ? On en parlera une prochaine fois.
Références : 1- Turestsky M. R. et al., « Permafrost collapse is accelerating carbon release », Nature 569, 32-34 (2019), doi: 10.1038/d41586-019-01313-4
2- O’Donnell, J. A., G. R. Aiken, K. D. Butler, F. Guillemette, D. C. Podgorski, and R. G. M. Spencer. 2016. DOM composition and transformation in boreal forest soils: The effects of temperature and organic-horizon decomposition state. Journal of Geophysical Research: Biogeosciences 121. doi:10.1002/ 2016JG003431